Jean-Baptiste de CHAMPAIGNE (1631-1681)
Le Christ en croix
Artiste : Jean-Baptiste de CHAMPAIGNE
Epoque : Vers 1655-1665
Matière : Huile sur panneau ; cadre d’origine en bois sculpté et doré
Longueur : 32,5 cm
Hauteur : 44 cm
Provenance :
- Vraisemblablement collection de Monseigneur Claude Auvry (1606-1687), évêque de Coutances
- Collection de Monseigneur Jean-Pierre Bravard (1811- 1876), évêque de Coutances et d’Avranches entre 1862 et 1875 ; son cachet de cire au revers du tableau
- Collection particulière parisienne
Nous remercions Nicolas Sainte-Fare-Garnot et Frédérique Lanoë qui ont bien voulu confirmer l’authenticité de cette œuvre, qui sera inclus au catalogue raisonné du peintre en préparation. Madame Lanoë est l’auteur de la notice qui suit :
Tandis que les ténèbres recouvrent la ville de Jérusalem, le Christ vient de rendre son dernier soupir. Il affleure au premier plan de ce tableau et en occupe quasiment toute la hauteur, dans une frontalité inévitable. Tout comme son oncle Philippe, qui a traité le sujet de la Crucifixion à plusieurs reprises, Jean-Baptiste de Champaigne parvient à donner une interprétation à la fois simple et dramatique de cet épisode fondateur du christianisme.
En raison de la force silencieuse de leurs compositions, il n’est pas étonnant que l’atelier des Champaigne ait été sollicité pour réaliser des œuvres sur ce thème. La composition de ce tableau est tout à fait intéressante car Jean-Baptiste de Champaigne y combine plusieurs formules initiées par son oncle : l’arrière-plan reprend, en la simplifiant, la vue de la ville de Jérusalem qui s’étend derrière le Golgotha dans la grande Crucifixion peinte avant 1650, que Philippe de Champaigne avait donnée aux Chartreux de Paris peu avant sa mort, en 1674. Cette œuvre montrant le Christ levant les yeux au ciel avant d’expirer était diffusée par l’estampe de Jean Morin. L’inscription portée sur le titulus attaché en haut de la croix, « Jesus Nazarenus / Rex Judaeorum », tirée de l’évangile selon saint Jean (19 : 20) est également identique à celle qui est portée sur ce tableau et sur l’estampe. En revanche, pour la figure du Christ mort, tête baissée, les flancs déchirés après le coup de lance des bourreaux, JeanBaptiste de Champaigne s’est inspiré de la version de la Crucifixion peinte par son oncle vers 1655 pour la Grande Chartreuse.
La touche légèrement fondue sur les contours, imprimant à l’ensemble de la composition une douceur qui diffère de la précision analytique du pinceau de Philippe de Champaigne, permet d’y reconnaître la main de son neveu Jean-Baptiste. La gamme chromatique froide, privilégiant des notes de bleu intense, est également caractéristique du style de Jean-Baptiste de Champaigne (on peut par exemple la comparer avec la palette aux accents vifs de bleus du Crucifiement, Magny-les-Hameaux, Musée de Port-Royal, inv. PRP 03). Pour accentuer le caractère douloureux de l’épisode, le peintre a grisé les mains et les pieds du corps supplicié de Jésus, et posé une ombre violacée sur ses lèvres et ses paupières. Seuls les bords du périzonium s’agitent au gré du vent sur son corps privé de vie. On remarquera encore que dans les versions de la Crucifixion peintes par Philippe de Champaigne, le Christ tend trois doigts symbolisant la Trinité, ce qui n’est pas le cas ici.
Jean-Baptiste, le plus proche et le plus doué des collaborateurs de Philippe de Champaigne, a souvent été amené à reprendre et à interpréter les compositions de son oncle à la demande des commanditaires. Il donna au monastère de Port-Royal, dont il était très proche, une copie de la Vierge de Douleur que son oncle avait peinte pour l’église Sainte-Opportune à Paris (copie aujourd’hui visible au musée de Port-Royal des Champs à Magny-les- Hameaux), il a également repris le thème du Bon Pasteur (Lille, musée des Beaux-Arts).
Dans ce dernier tableau, comme dans notre Crucifixion, si Jean-Baptiste prend pour point de départ une composition de son oncle, il évite d’en donner une copie servile et s’implique pour s’approprier le thème et lui apporter des variantes. Il existe, dans une collection privée, un autre exemple de Crucifixion avec la Vierge, saint Jean, Marie Madeleine au pied de la croix, dans laquelle Jean-Baptiste a retravaillé des modèles issus de l’atelier de son oncle (qui a fait l’objet d’une étude de Karen Chastagnol dans le catalogue d’exposition A l’Ecole de Philippe de Champaigne, Évreux, musée de l’ancien évêché, 2007-2008, p. 123-129.)
Reconnu pour son talent, Jean-Baptiste de Champaigne fut reçu à l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1663, où il ne tarda pas à exercer les fonctions de professeur. Il fut par la suite engagé par les Bâtiments du roi pour participer à la décoration des appartements de Louis XIV et du Dauphin au palais des Tuileries, puis pour peindre la voûte du Salon de Mercure dans les Grands appartements du roi au palais de Versailles, où il fut également chargé de la décoration de l’oratoire privé de la reine Marie-Thérèse d’Autriche. Témoignage important de la pratique artistique de Jean-Baptiste de Champaigne au sein de l’atelier de son oncle, ce tableau inédit est réapparu en Normandie et porte au dos un cachet de cire dont les armes sont celles de Jean-Pierre Bravard, évêque de Coutances et d’Avranches entre 1862 et 1875.
Il existait des liens entre cette région, les Champaigne et leur entourage. Deux siècles auparavant, un autre évêque de Coutances, Claude Auvry (1606-1687), s’était avéré un ami et un soutien important pour Robert Arnauld d’Andilly (1589-1674) et Port Royal auprès du cardinal Mazarin lors des querelles théologiques occasionnées en Sorbonne par les prises de position de son frère Antoine, dit le Grand Arnauld (1612- 1694). Par ailleurs, Philippe de Champaigne eut à plusieurs reprises également l’occasion de travailler pour l’archevêque de Rouen, François Harlay de Champvallon (1625- 1695), dont il réalisa le portrait et avait peint pour la cathédrale de Rouen, l’un de ses chefs-d’œuvre, la magnifique Adoration des bergers, toujours visible in-situ.