Thomas WIJCK (1616-1677)

L'Alchimiste

Huile sur panneau, signée en bas à gauche

35,7 x 29,8 cm.

Provenance : collection particulière

 

Les peintures de Thomas Wick (1616-1677) constituent l’une des plus grandes sources d’imagerie alchimique du XVIIe siècle. De retour de Rome et de Naples, Thomas Wijck s’installe à Harlem en 1642, au sein de la guilde des peintres dont il deviendra le doyen. Il se fait une spécialité de ces représentations, répétées à l’envi avec toujours quelques variantes.

La docteur en histoire de l’Art Elisabeth Berry Drago leur a consacré en 2019 une longue étude (1) et en a recensé une quarantaine. Une bonne partie est conservée au sein des collections de musée. Notons à titre d’exemples les versions du Rijksmuséum d’Amsterdam (SK-A-489), du Musée du Louvre (MNR 926), du Fitzwilliam Museum de Cambridge (351) ainsi que les tableaux du Science History Institute de Philadephia.

Ces images d’alchimistes ont valu à Wijck un grand succès, l’estime de ses confrères et des collectionneurs de son temps. Arnold Houbraken louait l’habileté et l’ingéniosité de Wijck. Horace Walpole a adressé de nombreux compliments à Wijck, déclarant que ses « meilleures pièces » étaient des peintures de « chimistes et de leurs laboratoires ».

L’ALCHIMIE ET L’ÂGE D’OR HOLLANDAIS

Lorsque l’alchimie est évoquée, elle apparaît nimbée de mystère, assimilée à une cuisine magique pratiquée par un initié dans un but coupable. Loin de l’occultisme et de la superstition, l’alchimie connait entre 1450 et 1700 un véritable âge d’or. Elle n’est rien d’autre que la naissance de la chimie moderne, une somme d’expériences menées pour approfondir la connaissance de la matière et définir les propriétés, les transformations et les interactions de ses constituants.

L’alchimiste n’est donc pas en quête d’un élixir universel ou d’une pierre philosophale ; et s’il n’a pas encore accès à la connaissance de l’atome, son travail fondamental consiste à trouver une utilité aux éléments naturels qui l’entourent. L’alchimiste joue un rôle social important, et s’adresse quotidiennement tant aux élites sociales qu’aux artisans le plus humbles. Il facilite le travail du pharmacien, du médecin, du teinturier, du fabricant d’eau de vie, de l’artisan, etc.

Dans un marché de l’art en pleine expansion aux Pays-Bas, où les images se multiplient, les vues d’alchimistes au travail constituent une image nouvelle et appréciée. Toutefois, jusqu’à Thomas Wijck, ces vues sont souvent satiriques. Elles condamnent la cupidité d’un prince ou la charlatanerie d’un médecin. (Cf. Pieter Bruegel, L’Alchimiste, Lebeer.27 i)

L’atelier de Thomas Wijck et son alchimiste prennent le contrepied des images moqueuses peintes jusque là. L’alchimiste de Wijck n’est pas un paysan en guenilles et en faillite se réchauffant à son fourneau. C’est un érudit. Sa barbe et sa robe de fourrure bien taillées, son air digne, le font davantage ressembler aux portraits d’Érasme de Rotterdam.

Des dossier de notes et des piles de lettres percées accrochées ça et là, des ouvrages ouverts montrent que l’alchimiste de Wijck est un lecteur et un écrivain, un érudit en somme. Il est aussi un chef d’entreprise, dirigeant des yeux son apprenti qui agite un pilon.

Certes les livres ouverts hâtivement s’empilent pour encombrer le premier plan de l’image. Une foule d’objets hétéroclites s’entassent, posés ou suspendus. Cadre, reptile au plafond, cage, récipients et instruments en tout genre laissent une première  impression de désordre. Sur la table le pot de faïence fêlé renforce ce sentiment de chaos.

Mais cette générosité débordante traduit plutôt le laborieux travail manuel de l’alchimiste, la pratique sans laquelle l’érudition serait vaine. Plutôt qu’une preuve de folie et de ruine, le récipient brisé devient le signe d’une transformation possible. Et le calme studieux de l’alchimiste assis au milieu de tout ce brouhaha dit beaucoup de sa détermination à parvenir à ses fins.

Wijck représente un microcosme, un monde de travail et de curiosité, un monde de recherche et de tentatives. Un monde de choses brisées à réparer et de doutes toujours surpassés. En représentant l’alchimiste travaillant, produisant quelque chose d’utile, faisant fi du désordre, triomphant de la matière, le peintre crée en réalité une image du processus créatif.

PEINTURE ET CHIMIE

Ce tableau de Thomas Wijck démontre en même temps sa maitrise à maîtriser la nature, dans une représentations illusionniste des textures et des matières, de la lumière et de la forme, et la capacité de la peinture à utiliser des produits alchimiques – pigments, solvants, etc. – pour capturer la pratique de l’alchimie elle-même »

Les parallèles entre l’alchimie et l’art, en particulier dans l’imitation et la transformation de matériaux naturels mène à la confusion des deux pratiques et des deux figures de l’artiste et de l’alchimiste. La frontière entre l’atelier et le laboratoire se fait ténue.

Cette innovation picturale a fourni à Wijck un thème curieux et nouveau qui a consolidé sa réputation de créateur « ingénieux ». Elle place son oeuvre, et notre tableau, dans le continuum hollandais de rhétorique et de pratique illusionnistes, où les œuvres cependant ne sont pas simplement des scènes pittoresques, mais des sources inspirantes de réflexion et de contemplation.

(1) Painted Alchemists: Early Modern Artistry and Experiment in the Work of Thomas Wijck. Elisabeth Berry Drago. Amsterdam Studies in the Dutch Golden Age. Amsterdam University Press, 2019.

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