Gabriel Germain JONCHERIE (1785-1856)
Les oeufs sur le réchaud
Huile sur toile
48,5 x 40 cm.
UNE IMAGE OBSÉDANTE ET PROFONDE
Peintre inventif, Joncherie a répété plusieurs fois au cour de sa carrière ce tableau représentant des oeufs dans un plat de faïence cuisant sur leur réchaud.
En effet nous connaissons, avec des variantes mineures de composition ou de format, au moins quatre autres versions de notre tableau. Notre tableau est le premier réalisé par l’artiste à notre connaissance, car il est daté 1834.
- Christie’s, New-York, 28 mai 1993, lot 19, signé et daté 1842, 45.8 x 38 cm.
- Christie’s, Londres, 16 novembre 2006, lot 68
- Sotheby’s, New-York, 25 janvier 2008, lot 366,
- Tajan, Paris, 18 décembre 2019, lot 26, non signé, non daté, 47,5 x 39,5 cm.
La version mentionnée en 1995 comme faisant partie d’une collection particulière néerlandaise dans la revue du Van Gogh Muséum (R. Leeuw, « Phillippe Rousseau, » in Van Gogh Museum Journal, 1995, reproduite en fig. 7.) est probablement celle vendue en 2006 et provenant de la collection Hoogendijk à Amsterdam.
Parfois le réchaud et les oeufs au plat sont insérés dans des compositions plus abondantes, moins méditatives, comme la version avec le chat et les petits pois passée sur le marché parisien (Ader, Paris, 2 décembre 2019, lot 7)
Il est intéressant de noter qu’aucun de ces tableaux ne fut présenté aux différents Salon auxquels Joncherie participa de 1831 à 1844.
Scène intimiste, oeuvre hybride à mi-chemin entre la nature morte et la scène de genre, cette composition était davantage destinée à la commande de quelques amateurs éclairés plutôt qu’aux cimaises bourgeoises des salons officiels.
UN TRAIT D’UNION ENTRE VELASQUEZ ET RIBOT
Propice à la méditation, notre tableau est plus qu’une simple illustration de la vie quotidienne
Certes l’image est un document riche d’enseignements sur la vie domestiquede l’époque. Elle convoque le souvenir des douceurs du foyer.
Elle est surtout un sermon silencieux sur les bienfaits de la frugalitéet la joie sereine des plaisirs les plus simples. Invitation à la tempérance et au silence, notre tableau se déchiffre comme une allégorie.
L’oeuf cassé au premier plan avertit de la fragilité de la vie terrestre, et de la vanité des biens d’ici bas. Le feu rougeoyant, saisissant de vérité, introduit une notion de temps. Temps qui passe et qui nous est compté, temps qui consume la vie et réduit en cendres, nos corps comme les braises encore chaleureuses de ce poêle.
Joncherie se réclame avec ce tableau l’héritier des peintres espagnols du XVIIème siècle, artiste des « bodegones », natures mortes méditatives de Zurbaran ou Juan Sanchez Cotan.
Et en peignant cette oeuvre Joncherie se tourne évidemment vers Vélasquez et sa « Vieille faisant frire des oeufs », oeuvre de jeunesse conservé à la National Gallery of Scotland.
En perpétuant une tradition nourrie par les maîtres espagnols et flamands, Joncherie poursuit la quête d’une peinture idéale, cherchant la perfection formelle et technique autant que spirituelle.
Ce faisant, il ouvre la voie à toute une génération d’artistes qui lui succéderont et qui regarderont à leur tour vers l’école espagnole du XVIIème siècle pour donner naissance au réalisme français. Parmi eux comptent évidemment François Bonvin, Antoine Vollon et Théodule Ribot.
JONCHERIE : UN ARTISTE A PART
Maître parisien installé rue de l’Echiquier, Gabriel Germain Joncherie reste une figure mal connue, malgré les redécouvertes et publications récentes.
Né à Vitry-sur-Seine en 1785, Joncherie se distingue par la frappante singularité de son univers formel, son apparente et trompeuse naïveté de facture, et une étonnante diversité d’influences et d’expression.
Les cabinets de curiosité, entre trompes l’oeil et natures mortes, composés d’une juxtapositions d’animaux empaillés, d’objets insolites et d’œuvres d’art représentent une partie importante de son oeuvre.
Des natures mortes et des vues d’intérieur, tables de poissons ou de gibiers, viennent constituent l’essentiel de sa production.
D’étranges portraits formés d’aliments, à la manière d’Arcimboldo, complètent ce panorama anarchique et fourmillant d’idées,.
La variété des oeuvres, leur caractère parfois incongru ou déroutant, à rebours de tout courant artistique contemporain, confirme l’apprentissage autodidacte de Joncherie, et son émancipation de toute école ou précepte académique et confère à ses oeuvres la force d’une modernité assumée.
Germain Joncherie eut un fils, Hector François, né en 1824, qui suivit le même chemin que son père)
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